Les possédées de Louviers

Cette affaire des religieuses ursulines possédées du couvent Saint-François de Louviers au 17e siècle fit grand bruit dans toute la France. Cette histoire reste, avec celles des possédées de Loudun, d’Aix-en-Provence et Jeanne des Anges, l’une des plus documentées dans ce domaine et l’une des plus emblématiques. L’affaire des possédées de Louviers, comme celles des possédées de Loudun et d’Aix-en-Provence, traite d’une série de cas de possessions sur des sœurs ursulines. Voyons cela plus en détail.

Un peu d’histoire

Nous sommes en 1641 à Louviers, commune française située dans le département de l’Eure en Normandie. À cette époque, Louviers compte pas moins de cinq établissements religieux : Sainte-Barbe, Saint-François, Saint-Lubin, la Miséricorde et Saint-Louis-Sainte-Elisabeth.

C’est le couvent qui accueille des sœurs-ursulines de Saint-Louis-Sainte-Elisabeth qui nous intéresse dans cet article. Aujourd’hui, il reste de ce couvent le bâtiment principal transformé en Hôtel de Ville.

L’histoire de ce couvent prend sa source à Paris en 1615, car le couvent n’est pas né à Louviers, mais à Paris, à la rue de la Verrerie, dans le IVe arrondissement, près de l’Hôtel de Ville. Pierre David, le prêtre de la paroisse de Saint-Jean-en-Grève dont l’église a disparu aujourd’hui, se rendait souvent au salon de Madame Mangot, salon fréquenté par de nombreuses bourgeoises. Ce personnage est un élément central de notre histoire qui y jouera un rôle important. Ce prêtre, considéré comme âgé pour l’époque (il avait la cinquantaine), était très pieux et aimé de ses ouailles. Il était le confesseur de presque toutes les nobles dames du quartier. Il a des relations d’amitié avec l’évêque d’Évreux et ce détail prendra toute son importance dans la suite du récit.

Intéressons-nous maintenant à quatre dames qui joueront aussi un rôle important dans cette affaire : Catherine Le Bis, veuve de Jean Hennequin, Procureur à la Cour des comptes de Rouen, condamné à mort par Henri IV, Française Gaugain, 25 ans, fille adoptive de Madame Hennequin, et les sœurs Caron, Claude et Marie.

Ces femmes et jeunes filles fréquentent le salon de Madame Mangot, une amie fidèle du père Pierre David. D’ailleurs, c’est lui qui a présenté Française Gaugain à Madame Mangot puis l’a fait adopté par Madame Hennequin. C’est aussi lui qui a fait introduire chez les deux femmes de bonne situation et riches les sœurs Caron.

En ce début du XVIIe siècle, un grand courant charitable se met en place et de nombreux établissements religieux sont fondés dans le pays, la plupart sont à vocation hospitalière. Et c’est dans ces conditions que le père Pierre David persuade la riche Madame Hennequin de fonder un couvent afin de racheter les péchés de son mari. Les trois filles pieuses qu’elle abrite chez elle (les sœurs Caron et Française Gaugain) constitueront le noyau de cette nouvelle communauté. Madame Hennequin en serait la supérieure et le père Pierre David en serait le Directeur. Le prêtre propose la ville de Louviers pour établir l’établissement et n’a aucun mal à le faire accepter par l’Église grâce à ses relations avec l’Évêque d’Évreux qui signe l’autorisation d’ouverture de ce nouveau couvent.

Et voici donc comment, en l’année 1616, tout ce beau monde s’installe à Louviers, dans une partie de l’imposante bâtisse dont le propriétaire, Robert de Bosc-Roger, a mis cette importante maison à disposition de ces concitoyens. Après accord des notables et du Roi, la veuve Hennequin débourse une grande somme d’argent pour construire le couvent et l’hôpital et acheter des terrains.

En septembre 1617, le Père Vincent Mussart, supérieur parisien de l’ordre, vient donner l’habit à 13 ou 14 filles du couvent de Louviers. Catherine Hennequin, rebaptisée Catherine-de-Jésus après l’ordination, devient officiellement la première supérieure de ce couvent et son assistante n’est autre que Françoise Gaugain devenue Françoise-de-la-Croix après l’ordination.

Mais le couvent, à peine né, va connaître ses premières difficultés. En effet, des disputes éclatent entre le Père Mussart, qui veut assouvir son désir de pouvoir en s’enrichissant, et le Père Pierre David, Directeur à vie de l’établissement, qui n’aspire qu’à donner au couvent qu’il a fondé une bonne réputation.

Le Père Mussart, qui a réalisé les premières ordinations, avait amené avec lui deux sœurs du couvent Sainte-Elisabeth de Paris pour instruire les débutantes et avait fait de l’une des sœurs la supérieure provisoire du couvent afin de plier ce nouvel établissement à son autorité. Et le Père Pierre David ne va pas voir cette nomination d’un bon œil. Une violente dispute éclate entre les deux prêtres. Finalement, la supérieure provisoire est renvoyée à Paris. Le Père Mussart se sent insulté et demande une inspection de la maison. Mais, l’on ne trouve rien d’anormal dans le fonctionnement du couvent.

Et toutes ces disputes ont lieu alors que l’édification des bâtiments n’a pas encore commencé. Les terrains sont achetés, mais les premiers travaux n’ont pas encore débuté.

En 1622, Catherine Hennequin meurt et c’est Françoise Gaugain qui devient supérieure du couvent. Mais, en 1625, elle tombe gravement malade et doit se rendre à Paris pour consulter des médecins spécialistes. Elle y restera et deviendra la supérieure d’un couvent parisien en cours de création au Faubourg Saint-Germain, le couvent des Religieuses Hospitalières de la Charité Notre-Dame. Elle y fait venir les sœurs Caron. Le Père Pierre David devient, alors, le seul maître à bord du couvent Saint-Louis-Sainte-Elisabeth de Louviers.

Aussitôt, il fait terminer toutes les constructions du couvent. Et ce n’est qu’en 1640, que le couvent Saint-Louis-Sainte-Elisabeth de Louviers est achevé. Et c’est dans la même période, que l’affaire des possédées de Louviers va éclater.

 

 

L’affaire des possédées de Louviers

 

Article de presse relatant l’affaire des possédées de Louviers

Nous sommes en 1640. Le couvent est neuf, les bâtiments en parfait état. Mais une mystérieuse maladie va toucher le couvent. En effet, les récits historiques parlent d’une épidémie d’hystérie qui aurait touché le couvent pendant environ trente ans, années qui s’écoulent de la fondation du couvent jusqu’à la fin du procès en 1647. Donc, une épidémie qui aurait touché le couvent bien avant la construction des bâtiments et dont la fondatrice, Madame Hennequin aurait été touchée.

Cette crise fut tantôt latente, tantôt aiguë et aurait touché de nombreuses sœurs-ursulines. Les autorités menèrent une enquête sérieuse dès mars 1643, enquête qui dura quatre ans, c’est-à-dire jusqu’au procès. Les conclusions de cette enquête furent mitigées : les médecins parlèrent de crises d’hystérie telles que décrites dans les manuels de psychiatrie, de symptômes d’origine nerveuse, d’autres y virent des manifestations démoniaques. On mena des interrogatoires sur les sœurs, on admonesta des exorcismes publics, sans pouvoir soulager les sœurs. Et le procès qui s’en suivit mena un homme soupçonné de magie et de sorcellerie au bûcher.

L’enquête menée au sein du couvent a considéré le successeur du Père Pierre David et lui même comme responsables de cette crise de possession démoniaque. En effet, on a découvert que le prêtre a introduit au sein du couvent certaines pratiques occultes et mystiques qui ont conduit les sœurs à un véritable dérangement d’esprit en leur insufflant des idées de luxure et de perversion. On pense que la première atteinte par les méfaits du Père Pierre David fut Françoise Gaugain qui eut la présence d’esprit de quitter l’établissement à temps et qui, par cet éclair de lucidité, lui permit de ne pas être possédée.

On pense que le Père Pierre David a obligé les sœurs à des relations coupables, de débauche collective. Mais rien n’a pu être prouvé. Pierre David mourut en 1628 et c’est le Père Mathurin Picard qui le remplaça. Et ce n’est qu’après la mort de ce dernier en 1642, survenue d’ailleurs d’une manière brutale et inexpliquée, que commença véritablement l’affaire des Possédées de Louviers.

Mathurin Picard fut enterré dans l’église même du couvent, près de la grille des religieuses. Aussitôt, certaines sœurs sont victimes d’hallucinations, surtout les plus jeunes. Dans un état d’excitation intense, elles voient le prêtre entrer dans leurs chambres et les regarder. Elles voient aussi des flammes sortir de sa tombe.

Puis, les choses s’aggravent : certaines sœurs subissent des crises terribles durant lesquelles elles n’ont plus aucun contrôle de leur corps. Elles prennent, pendant un temps parfois long, des postures insensées, les muscles contractés à l’extrême, un masque de souffrance sur le visage. Il leur est impossible de crier, d’appeler de l’aide. Parfois, les postures défient les lois de la physique : leurs corps s’arcboutent à l’extrême, formant un arc de cercle touchant le sol seulement avec la tête et les pieds. Certaines sœurs ont des pertes de connaissance, d’autres sont frappées par une entité invisible. Toutes sont victimes d’hallucinations et voient des bêtes atroces qui veulent les dévorer, des personnages effrayants. Surtout, le Diable leur apparaît en ricanant. Toutes celles que ce mal touche se mettent à blasphémer, à crier des insanités. Et surtout, dépérissent à vue d’œil.

Et bien sûr, l’affaire ne peut pas rester secrète, malgré les tentatives de Monseigneur Péricard, l’évêque d’Évreux, pour la contenir. Ce dernier se rend à Louviers, interroge les religieuses, emmène Madeleine Bavent, celle désignée comme la plus excitée et l’a fait enfermer en prison par le tribunal ecclésiastique de l’Officialité. Le corps de Picard est déterré et jeté dans une marnière. Espérant avoir contenu l’affaire et surtout l’avoir résolue, l’évêque retourne à Paris. Mais l’affaire n’est pas terminée.

Quelques jours plus tard, le corps de Picard est découvert et ses héritiers entament un procès contre l’évêque. Alors, la Cour dépêche à Louviers une commission d’enquête qui durera quatre ans, quatre longues années durant lesquelles un homme, le Père Esprit-de-Bosroger, provincial des Capucins de Normandie, orientera l’enquête. Ce dernier, arrivé de Paris, n’a qu’un seul objectif : sauver la réputation du couvent de Louviers et surtout celle de l’Ordre des ursulines. D’autant plus qu’il a dans l’idée de fonder un couvent à Rouen.

Le Père Esprit-de-Bosroger va s’évertuer à prouver que tout ce qui se passe à Louviers est l’œuvre du Diable et va même jusqu’à trouver des complices de ce drame, des magiciens ou magiciennes qui ont introduit le Diable au sein du couvent. Et dans cette recherche de complices, on désignera une sorcière : Madeleine Bavent, toujours prisonnière à la prison d’Évreux. Et pendant quatre ans, Madeleine Bavent subira plus de deux cents interrogatoires, des exorcismes (souvent pratiqués en public), des recherches de maléfices, des tortures…

Et pendant ce temps, les autres sœurs-ursulines subissent aussi des exorcismes à répétition, sans jamais pouvoir être soulagées de leurs maux.

Le procès débute enfin au mois de mai 1647 devant le Parlement de Normandie. Ce Parlement est réputé pour sa sévérité envers les sorciers et tous ceux qui pratiquent la sorcellerie. Pourtant, les juges hésitent à condamner Madeleine Bavent de sorcellerie. Devant l’insistance du Père Esprit-de-Bosroger, les juges finissent par craquer et juger Madeleine de Bavent coupable. Cette dernière arrive au tribunal le 21 août 1647 affaiblie et presque morte. Elle fut condamnée à la prison à vie, car on voulait la garder vivante comme témoin pour un autre procès contre Françoise Gaugain que certaines sœurs avaient affirmé avoir vu lors de sabbats. Madeleine Bavent mourut six ans plus tard, complètement folle.

Le corps de Picard fut brûlé son vicomte, Boullé, qui avait subi de nombreuses tortures fut amené sur le bûcher.

 

 

Après le procès

La Cour du Parlement de Rouen a ordonné la fermeture du couvent Saint-Louis-Sainte-Elisabeth, la dispersion des religieuses et la vente ou le changement de destination des bâtiments. Mais, le décret de fermeture n’est pas exécuté et seules les sœurs « malades » sont renvoyées dans leurs familles ou soignées en hôpital. D’ailleurs, elles reviendront presque toutes à Louviers.

Et, comme l’avait prévu le Père Esprit-de-Bosroger, l’affaire a fait tellement de bruit en France qu’elle a suscité l’intérêt, intérêt que l’on remarque très vite au vu des nombreuses faveurs qui sont distribuées au couvent. Les dons affluent de partout, l’administration exempte les sœurs de l’impôt.

Lors de la construction du couvent, les sœurs étaient au nombre de 14. Ce chiffre est passé à 52 au moment de l’affaire. Les conditions de vie sont particulièrement sévères : respect strict des règles, jeûnes plusieurs fois par semaine, manger à terre… les plus légères fautes, comme parler au réfectoire, sont sanctionnées. Les vœux prononcés sont essentiellement les vœux de pauvreté et de chasteté. Les sœurs, en dehors de la vie contemplative et des prières, tiennent un hôpital et un pensionnat de jeunes filles. L’hôpital, ouvert dès 1631, comptait 14 lits. Le pensionnait comptait 32 lits.

Du petit couvent du début, il se transforma en grand domaine grâce aux dons et à des héritages. À la veille de la Révolution, le couvent possédait cinq maisons à Louviers et 350 hectares de terrain.

En 1789, l’Assemblée nationale ouvre les portes des Communautés, mais leur laisse le droit de continuer à vivre. La loi du 14 octobre 1790 donne les bâtiments claustraux à l’Hospice Civil de Louviers, tout en accordant des compensations pécuniaires aux religieuses. Le 31 décembre 1789, 29 religieuses sur 32 que comptait à présent le couvent disent vouloir continuer à mener la vie commune, mais deux ans plus tard changent d’avis et expriment le désir de vouloir quitter le couvent. Quelques-unes vont à l’hospice, comme Marie Joseph Demerin, appelée sœur Marianne, qui s’éteindra en 1842 et dont la pierre tombale que l’on peut voir au musée consacré à l’histoire du couvent porte une bien curieuse épitaphe.

Le 22 novembre 1795, alors que les bâtiments sont vides, le Conseil de Ville décide de s’y installer. Les bâtiments deviendront la propriété de la ville en 1804.

Les bâtiments subiront, plus tard, d’importants travaux. Ainsi, deux bâtiments attenants au bâtiment principal ainsi que le cloître seront détruits pour construire une école communale. Le bâtiment principal sera conservé. On construira aussi un musée dédié au couvent puis l’actuelle Mairie.

 

 

Possessions démoniaques ou crises d’hystérie ?

Nous ne savons pas quand ont commencé les maux dont sont victimes les sœurs. Selon les religieuses, c’est Madeleine Bavent qui a fait entrer le Diable au couvent. Cette dernière est devenue la complice du Père Pierre David et a fait entrer la débauche au sein des murs du couvent. Elle a instauré un climat érotique et libertaire, climat que le Père Pierre David a renforcé en pratiquant des ébats avec les sœurs.

Après la mort du Père Pierre David, son successeur, le Père Mathurin Picard a continué l’œuvre de son prédécesseur avec l’aide de Madeleine Bavent et y a introduit, au sein du couvent, des pratiques de magie et de sabbats. Et lorsque le prêtre meurt en 1642, il laisse des religieuses prisonnières de leurs pratiques infernales.

Les cas de possessions démoniaques apparaissent en 1643, dès la mort du Père Mathurin Picard. Les religieuses déclarent alors qu’un démon les habite, et Madeleine Bavent passe pour une ensorceleuse.

Lors des nombreux exorcismes menés sur les sœurs, plusieurs démons se présenteront : Béhémot, Accaron, Dagon, Encitif, Léviathan… Les démons accusent Madeleine Bavent de les avoir appelés.

Les symptômes des sœurs possédées sont multiples : elles parlent des langues inconnues, se contorsionnent, blasphèment, crient… de nombreux témoins lors des exorcismes, réalisés en la présence de l’évêque d’Évreux le 2 mars 1643, constatent ces états. Les sœurs déclarent aussi converser avec le Diable, que ce dernier leur apparaît souvent sous la forme d’un bel ange.

Après les nombreux exorcismes sur les sœurs, la condamnation à la prison de Madeleine de Bavent et l’exécution de Thomas Boullé, vicaire de Mathurin Picard, que l’on soupçonne impliqué dans cette histoire, on transfère les ursulines dans d’autres monastères.

L’affaire de Louviers présente de grandes similitudes avec celles de Loudun et d’Aix-en-Provence : des ursulines accusées de possession démoniaque, luxure et immoralité, sorcellerie, le tout sous la coupe d’un religieux instigateur.

Cette affaire reste l’une des affaires les plus emblématiques de la possession démoniaque. Les exorcismes réalisés en public montrent que les sœurs pouvaient parler plusieurs langues, que les démons s’exprimaient à travers leur bouche, qu’elles pouvaient léviter et qu’elles montraient une force extraordinaire.

Cependant, il convient de replacer cette affaire dans son contexte : en effet, cette affaire commence cinquante ans après que les démonographes tels que Delancre, Boguet et Nicolas Remy ont répandu la terreur dans tout le pays, dans le même siècle de « la chasse aux sorcières » qui a fait brûler sur le bûcher des milliers de sorciers et sorcières dans toute l’Europe. La peur du Diable est omniprésente et la tendance à tout diaboliser est une constante.

C’est dans ce contexte où la religion était ultraprésente que l’on a bâti le couvent de Louviers. Le Père Pierre David était quelqu’un de particulièrement charismatique. Il s’était annoncé aux jeunes sœurs comme étant l’envoyé de l’Esprit-Saint et obtint d’elles une obéissance aveugle. Il les poussa à se donner corps et âme au Christ. Surtout corps ! Il leur prêtait des livres avec des images très parlantes relatant des ébats amoureux avec les esprits divins. Il poussa les jeunes sœurs à s’aimer charnellement et participait à ces ébats luxurieux. Ainsi, le Père Pierre David avait éveillé en elles des idées contraires à la doctrine religieuse, idées qui les perturbèrent. Et le Diable dans son esprit de malice en profita pour s’introduire en elle et les entraîner dans le vice. Voici comment l’on avait expliqué ces possessions à l’époque.

Tous les faits qui se sont déroulés au monastère furent passés au crible par des scientifiques, des médecins, des psychiatres.

Le premier fait, et pas des moindres, fut les hallucinations ; toutes les sœurs parlèrent d’apparitions, de visions, de manifestations d’esprits… Ces visions ne purent s’expliquer par la suggestion ou une activité électromagnétique ou électrobiologique. De nombreux témoins et enquêteurs ont été témoins de ces faits, des témoins fiables et sains d’esprit. Parmi les sœurs qui présentaient ces symptômes, il y en avait six qui étaient les plus touchées par les visions : sœur Marie de Jésus, sœur Anne de la Nativité, sœur Marie du Saint-Sacrement, sœur Barbe, sœur Marie Cheron et sœur Marie du Saint-Esprit. Le Diable leur apparaissait sous les traits d’un magnifique ange pour mieux les perdre. Cette tromperie de Satan est assez courante et relatée dans de nombreuses affaires.

Après ces visions, les sœurs furent victimes d’obsessions, de faits étranges de possession ou de manifestations physiques d’esprits. Dans les faits étranges, notons les pupitres qui se renversaient seuls, les livres qui lévitaient et tombaient seuls, les plats et autres ustensiles de cuisine qui tombaient des étagères… Plusieurs fois, une force invisible a poussé les sœurs les faisant tomber à terre et les maintenant au sol dans une position improbable. Il y avait aussi les bruits bizarres, les bougies qui s’éteignaient et se rallumaient seules, les voix dans les dortoirs, des voix d’hommes, lugubres… Plusieurs fois, des mains invisibles ont enlevé une sœur de son lit. On retrouva cette pauvre enfant hors du couvent complètement désorientée. Une autre fut saisie par le nœud de sa ceinture et projetée dans les airs jusqu’au grenier. Une troisième sœur fut frappée sur la joue. Une quatrième fut forcée à lécher une patère. Elle en eut la langue brûlée et couverte de pustule pendant trois jours. Une autre enfin, fut guérie instantanément d’enflures, de pustules et de verrues causées par des piqûres d’orties et des contusions.

Lors d’un exorcisme, sœur Marie de Jésus révéla le nom du démon qui la possédait : Accaron (démon inconnu). Lors de ce même exorcisme, elle s’éleva à 1 mètre du sol et l’évêque d’Évreux qui voulut la retenir, fut projeté violemment au sol.

On sut aussi le nom du démon qui possédait sœur Marie du Saint-Esprit : Dagon (divinité philistine, Grand Panetier de la Cour infernal, qui tourmenta aussi Madeleine Bavent dans sa cellule). Dagon s’acharna sur la pauvre sœur, la battant et la projetant sur les murs.

Les sœurs sentaient l’esprit qui les possédait passer d’un corps à l’autre. Lorsque cela se produisait, une puissance invisible les jetait à terre et les maintenait les bras étendus, les muscles tendus à l’extrême, ne pouvant plus bouger ni parler. Et cet état durait jusqu’à ce que l’esprit s’en retournât dans le corps qu’il avait précédemment quitté. Plusieurs témoins virent cette transmission réciproque.

Les sœurs faisaient aussi preuve d’un don de double vue, de vue à distance, de mentalisme, tenaient des discours savants, parfois en langues étrangères, sur des questions de morales et de religion.

L’évêque d’Évreux, François de Péricard, et d’autres prêtres, donnèrent de nombreux exorcismes, en vain. Car les sœurs restaient possédées. Rien ne semblait pouvoir les délivrer. L’évêque appela à l’aide le provincial des capucins de Normandie, expert en matière de conjurations et en exorcisme, habile pour déjouer les ruses du Diable. Et ce provincial des capucins était le Père Esprit-de-Bosroger, celui qui allait faire empirer la situation. Il avait d’ailleurs transmis, dans un livre très détaillé, l’histoire complète de l’affaire de possession des religieuses de Louviers.

Le Père Esprit-de-Bosroger se mit à l’œuvre, à grand renfort de prières et de jeûnes. Et un jour qu’il était en plein exorcisme, Madeleine Bavent se moqua de lui. Et c’est ainsi qu’on la qualifia de suppôt de Satan. Aussitôt, persuadé que Madeleine s’était donnée au Diable et que c’était à cause d’elle qu’il était entré au monastère, on l’exorcisa. C’est l’évêque d’Évreux qui s’en chargea particulièrement. On découvrit, alors, lors des nombreux interrogatoires qu’elle subit, que trois directeurs de conscience, dont le Père Mathurin Picard, l’avaient déflorée à l’âge de 14 ans et qu’elle devint sa maîtresse peu consentante. Les démons qui la possédaient crièrent que Madeleine était magicienne et que c’était elle qui les avait appelés et qu’elle participait à des sabbats.

On l’enferma et l’on examina son corps à la recherche de la marque du Diable. Et effectivement, on crut reconnaître cette marque. Alors, Madeleine Bavent avoua être une sorcière, qu’elle avait été pervertie par le père Mathurin Picard ! Il lui avait arraché son consentement par ruse et c’était lui qui l’avait instruite à l’art de la sorcellerie.

On rappelle que Mathurin Picard avait succédé au Père Pierre David à son décès, à la tête du couvent de Louviers. Mathurin Picard avait pour second Thomas Boullé, que Madeleine Bavent avait reconnu être son complice. Madeleine raconta que les deux prêtres pratiquaient la magie noire.

Madeleine Bavent fut condamnée à la prison, d’où elle ne sortit que pour se rendre à Louviers où elle subissait des tortures abominables. Madeleine Bavent était une jeune fille impressionnable, passionnée, expansive, hystérique et ce traitement la plongea dans un profond désespoir. Elle se mit à avoir des hallucinations, des visions cauchemardesques. Elle raconta plusieurs fois que le démon Dagon vint la visiter, et que d’autres démons la frappaient sans cesse. Madeleine Bavent essaya plusieurs fois de se suicider, une fois en s’ouvrant les veines avec un couteau rouillé, une autre fois en essayant de s’ouvrir la gorge avec un clou, une autre fois encore en s’enfonçant un couteau dans le ventre. Elle tint même pendant quatre heures le couteau dans son ventre en le remuant de temps en temps pour agrandir la plaie. En vain. Elle guérit miraculeusement de toutes ses blessures et même d’un ulcère cancéreux au sein. Pendant trois jours, elle mangea du verre pilé sans rien avaler d’autre. Là aussi, elle survécut et n’eut aucune plaie. Cinq fois, elle resta sept jours sans rien manger ni boire où elle insultait un crucifix et priait les démons de la venger. Toutes les fois, un ange lui apparaissait et venait la consoler. Plusieurs témoins virent cette scène. Une autre fois, elle se procura de l’arsenic, mais là encore, un ange l’empêcha d’avaler le poison.

Madeleine Bavent fut exorcisée sans relâche dans sa prison d’Évreux et à Louviers. Lors d’un exorcisme, elle avoua que le corps de Mathurin Picard, enterré près de la grille de communion, dans l’église du monastère, était la cause de l’un des plus dangereux maléfices qui affligeaient le couvent. On découvrit aussi qu’une sœur avait reçu ordre de Mathurin Picard de se donner au dieu Beel et que deux autres subirent des attouchements de sa part. On exhuma le corps de Mathurin Picard, mais la famille du défunt porta plainte et c’est ainsi que toute l’affaire éclata au public. La suite, on la connaît…

Ce que l’on peut dire, c’est que cinq médecins dépêchés pour l’enquête ont jugé cinq religieuses comme étant possédées.

Lors du procès, Madeleine Bavent avoua qu’on l’avait marié à Dagon lors d’un sabbat, que Mathurin Picard l’éleva à la dignité de princesse de sabbat lorsqu’elle promit d’ensorceler toute la communauté et que cette promesse fut scellée avec le crime de Sodome sur l’autel du Diable. Elle avoua aussi avoir composé des maléfices en se servant d’hosties consacrées, que l’on servit, lors d’un sabbat, un enfant à manger. Que Thomas Boullé était complice de tout cela. Que le Père Pierre David était un magicien et qu’il avait donné à Picard ses grimoires et ses pouvoirs diaboliques.

Devant ces aveux, on brûla le corps de Mathurin Picard et l’on mena au bûcher Thomas Boullé. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus crier, ce dernier hurla son innocence dans cette affaire. Et même torturé, il jura être innocent.

L’arrêt de la Cour du Parlement de Rouen est un acte authentique prouvant l’accusation de sorcellerie. Le corps sans vie de Mathurin Picard et Thomas Boullé furent brûlés à l’endroit même où Jeanne d’Arc perdit la vie.

 Quant à Madeleine Bavent, elle fut remise en prison pour servir de témoin dans une affaire impliquant Françoise Gaugain. Aujourd’hui, dans les bâtiments du couvent transformés en hôtel de ville, en palais de justice, en gendarmerie et en école, on montre encore la place de la cellule de Madeleine Bavent. Cette terrible affaire est regardée comme l’une des plus mémorables affaires de possession démoniaque.

 

 

Comme l’affaire de Loudun, cette affaire nous montre que des histoires de faits de magie, de fascination, de phénomènes extraordinaires et si contestés aujourd’hui, ont eu lieu de tout temps et sont attestées par de nombreux témoins, même si l’on veut nous le cacher. Et pourtant, combien de savants aujourd’hui, s’appuyant sur l’histoire et témoins de choses extraordinaires continuent de les nier ? Mais fermer les yeux n’est pas la solution. Car une vérité étouffée, bafouée, ne tarde pas un jour ou l’autre à exploser, à refaire surface. Autrefois, cette grande vérité était étouffée avec les flammes du bûcher. Une affaire compliquée, mais qui prend sens grâce à ses nombreuses documentations. Et même si l’on ne croit pas aux manifestations surnaturelles, comment expliquer les guérisons, surtout à cette époque où la médecine n’était pas encore évoluée, de Madeleine Bavent ? Comment a-t-elle survécu à un couteau dans le ventre et aux autres tentatives de suicide ?

 

Sources : histoiredelafolie.fr, Sedlouviers-pageperso-orange.fr

 

Marie d’Ange

Pour aller plus loin

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