Jeanne Ferry, la possédée pseudo-religieuse

 

L’histoire de la religieuse Jeanne Ferry n’est pas une histoire banale et mérite d’être rapportée dans ce blog. L’affaire qui nous concerne débute en avril 1584, alors que Jeanne a 25 ans et qu’elle est soeur au couvent des Sœurs noires de la ville de Mons. Même si aucun exorcisme n’a été réalisé en public, si tout s’est déroulé entre les murs du couvent, nous avons des preuves sur la véritable possession de Jeanne Ferry. Voici les faits.

 

 

 

Jeanne Ferry

L’histoire de Jeanne Ferry est publiée sous l’autorité de l’archevêque de Cambrai, Louis de Berlaymont.

Jeanne Ferry est née en 1559 à Solre-sur-Sambre, une petite bourgade au sud-est de Mons. L’enfance de Jeanne est malheureuse, entre un père alcoolique et violent et une mère indifférente (= blessures émotionnelles = failles dans la psyché). Pourtant, Jeanne Ferry appartient à une famille honorable par sa mère et sa tante, Jeanne Gossart. Cette dernière est maîtresse du couvent des Sœurs noires.

Très jeune, Jeanne est placée au couvent. Ce sont les sœurs qui feront son éducation. Vers l’âge de 10 ans, Jeanne devient apprentie couturière. À 15 ans, elle prononce ces vœux. Elle avouera plus tard, dans sa confession, que dès l’âge de 12 ans, lassée de la religion et des ordres stricts, elle avait voulu vivre libre et avait signé un pacte de son sang avec les démons. Elle avouera, depuis ce jour, être tourmentée par les démons, subir des douleurs atroces lors de la communion.

En confession, elle finit par reconnaître les liens et les obligations qu’elle a signés avec le mal et donne à son confesseur, qui est bien ennuyé avec l’obligation du secret de la confession, des hosties profanées. Devant cette révélation, on décide de pratiquer un premier exorcisme. Celui-ci sera effectué en avril 1584, alors que Jeanne a 25 ans et fait toujours partie du couvent des Sœurs noires de Mons.

Lors de la première séance d’exorcisme, les démons révèlent leurs noms (Cornau, Traître, Art magique, Hérésie, Vraie Liberté, Sanguinaire et Bélial) ainsi que le nom de leur adversaire, Marie-Madeleine. Seule Jeanne voit Marie-Madeleine et lui parle de ses souffrances. Notez bien les noms des démons, n’y voyez vous pas une chose étrange ? Beaucoup personnalisent un aspect, un esprit : l’esprit de l’art magique, l’esprit d’hérésie, l’esprit de la traîtrise, l’esprit de la fausse liberté (les démons inversent souvent les concepts et un démon ne rend jamais libre, dans le sens qu’un démon corrompt le libre-arbitre, ce don de Dieu pour le Salut de l’âme). Finalement, on peut comprendre que Jeanne est sortie du plan de Dieu par différentes portes, et qu’à présent, il faut travailler à refermer ces portes pour rétablir en elle la paix. Mais, nous sommes au XVIe siècle, et l’on pense que seul un exorcisme peut la sauver. Non ! Seul Dieu sauve ! Seule la foi sauve ! 

Jeanne subit de nombreuses souffrances corporelles de la part des démons. En plus de cela, la jeune femme souffre du plaisir de la nourriture et est victime de plusieurs illusions. Elle avoue que les démons lui donnent souvent des grains d’anis qu’elle consomme avec gloutonnerie. C’est pour elle comme une drogue, et c’est pour cela qu’elle refuse que les démons quittent son corps.

Jeanne fait aussi preuve d’une grande connaissance. Souvent, elle argumente sur des points de théologie et de dogme. Ces connaissances lui sont données par les démons. D’ailleurs, une fois expulsés, Jeanne ne saura plus ni lire ni écrire et aura un âge mental d’une enfant de 4 ans.

Lors d’une séance d’exorcisme, un démon révèle que Jeanne a été maudite par son père qui, en sortant d’une taverne où sa mère a été le chercher en compagnie de l’enfant, son père l’a donnée au diable avant de disparaître. Elle a par la suite, volontairement, conclu un pacte avec le Malin. Il y aurait en tout 18 pactes signés au fil du temps et qui l’attachent de plus en plus à ses hôtes diaboliques.

Extérieurement, rien ne paraît et Jeanne semble fidèle à ses vœux. Mais les démons l’incitent à profaner de plus en plus d’hosties.

Souvent, poussée par les démons, Jeanne a voulu se suicider. À chaque fois, Marie-Madeleine serait intervenue pour l’empêcher de mettre fin à ses jours.

Les exorcismes ont tous été réalisés entre les murs du couvent, sans témoin, mis à part les religieuses et les prêtres-exorcistes. Les exorcismes se déroulaient à intervalles plus ou moins longs selon l’état de Jeanne. Les exorcistes ont d’abord demandé aux démons de rendre les pactes signés. Certains étaient cachés dans le corps de la possédée, d’autres avaient été emportés et cachés en lieu sûr. Ceux cachés dans le corps de Jeanne en seraient sortis on ne sait pas comment ni par où. Les pactes se matérialisaient à côté d’elle.

Puis les exorcistes sommaient les démons de dévoiler l’endroit où étaient cachés les autres pactes. Tous ont été retrouvés et détruits.

Jeanne a été délivrée lors du grand exorcisme final réalisé le 12 novembre 1585. Lors de cette séance, la possédée a rejeté par la bouche et les narines des ordures et des punaises, des pelotes de cheveux ainsi que plusieurs petites bêtes en forme de vers velus, le tout empli d’une puanteur atroce.

On dit aussi que les démons l’emplissaient de vermines venimeuses qui lui donnaient une respiration difficile et une haleine fétide. Dans la bouche, ils lui mettaient de la chair crue et du sang coagulé.

Après la délivrance, Jeanne a fini sa vie au couvent, sans jamais plus faire parler d’elle. Elle s’est éteinte en paix en 1620. Avant son décès, pour libérer sa conscience, elle a écrit sa confession.

 

 

La confession de Jeanne Ferry

“Satan” est un livre de 600 pages paru chez l’éditeur catholique Desclée de Brouwer au printemps 1948, dans la collection des Études carmélitaines. Drôle de titre pour un livre, sauf si l’on sait que ce manuscrit est un recueil de discours de théologiens, de philosophes, de psychologues et médecins depuis les années 1930, discours relatant des cas de possession démoniaque. Et bien sûr, on y retrouve le cas de Jeanne Ferry. Un livre étonnant, qui nous dit clairement que Satan existe et que ses œuvres sont légion.

C’est dans la section « Répression » que l’on trouve la confession de Jeanne Ferry. Cette section regroupe les manifestations démoniaques et les confronte à l’avis de psychiatres. Nous y trouvons un article de Joseph de Tonquédec, l’auteur des « Maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques. »

Dans cette même section, on y trouve le cas de Jeanne Ferry étudié par un ecclésiastique, Pierre Debongnie, qui rapporte sans contester la réalité ni le caractère diabolique des évènements, même s’il ouvre une conclusion très prudente sur ce cas. C’est une étude critique, une des premières, qui se fait à mi-chemin entre un jugement de réalité qui n’a pas lieu (le diable existe) et une science émergente des névroses que Pierre Debongnie manie avec réticence, préférant le stéréotype moral de la malice des femmes (qui est, selon lui, aussi mystérieuse que le diable) à l’explication médicale.

La question reste cependant ouverte : Jeanne Ferry était-elle possédée, ou malade ou encore une grande menteuse ? L’affaire Jeanne Ferry reste encore aujourd’hui non élucidée et c’est pour cela que son cas n’est pas choisi par hasard dans le livre « Satan ». Son cas fait débat. Plusieurs explications ont été données et sont annotées dans le livre. Par exemple, un élève de Charcot pose un diagnostic ferme et sans appel : « Jeanne est une prétendue possédée, et, en vérité, une pauvre malade atteinte de la forme la plus sévère d’hystérie, qui présente l’ensemble du tableau nosologique avec ses convulsions, délires, symptômes d’insensibilité et jusqu’au plus parfait dédoublement de la personnalité.

Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909, médecin aliéniste qui a participé activement au débat sur la laïcisation des hôpitaux français) a interprété l’ensemble des phénomènes religieux et irréligieux de cette affaire comme “l’empreinte” du milieu dans lequel a vécu la religieuse : les apparitions surnaturelles, les dialogues avec les diables, les apparitions de Marie-Madeleine. Les profanations diaboliques d’hosties et les blasphèmes sont, selon lui, des éléments du délire de Jeanne puisés dans les sermons proférés pour défendre la doctrine catholique contre les attaques du protestantisme virulent dans la région de Mons.

Le cas de Jeanne Ferry a retenu l’attention des premiers élèves de Charcot et des Carmes thomistes et suscite la perplexité, car ils doivent traiter deux discours : le premier est celui des exorcistes qui se sont occupés de Jeanne, un discours de leur victoire sur les diables. Le deuxième discours et l’autobiographie de Jeanne racontée par elle-même après la délivrance. Et c’est cette autobiographie qui suscite l’étonnement, car il s’agit d’un récit volontaire d’une fille violemment hostile à la vie de religieuse, curieuse de théologie, polémiste acharnée contre l’eucharistie, qui abjure ses erreurs passées, mais qui reste désireuse de les évoquer et de les détailler. C’est un discours paradoxal. En même temps, Jeanne avoue détester l’Église, mais en même temps, la remercie de l’avoir sauvée. Jeanne, l’irréligieuse, est persuadée avoir été l’instrument du démon, avoir été possédée et pourtant refuse la religion. Par contre, elle embrasse la foi. Finalement, Jeanne a compris que l’Église n’est pas la foi, et que Dieu vit en chacun de nous, et que l’on a pas besoin d’un bâtiment pour prier Dieu. 

Le récit de Jeanne est d’une grande violence. Elle détaille les formes les plus lourdes de l’irréligion et du blasphème, mais aussi comment le diable l’a contrainte à s’y soumettre.

La possession de Jeanne Ferry est d’abord une affaire de connaissance que les diables lui auraient fournie par contrat : une fille qui sait et veut savoir est une fille du diable. C’est Jeanne Ferry elle-même qui propose cette équation, équation valable à l’époque où se déroulent les faits. Ce désir de connaissance suppose une telle transgression qu’il est immédiatement rabattu sur la curiosité démoniaque. Or, il s’agit encore d’un mensonge, car Dieu nous demande justement de faire l’effort de Le connaître, de connaître sa Parole pour comprendre et accepter, dans sa volonté, son Plan. La connaissance amène à Dieu, amène à la Vérité. 

 

 

Quelques passages édifiants

Revenons sur la confession de Jeanne Ferry pour y noter quelques points troublants.

Nous savons que Jeanne avait confessé avoir profané des hosties. Le confesseur était le Chanoine Jean Mainset. Ce dernier était lié par le secret de la confession qu’il ne veut briser, ce qui l’oblige à trouver un stratagème pour se défaire des hosties sans dévoiler le secret de leurs origines. Ainsi, Jean Mainsent consomme “secrètement” les hosties lors d’une messe et jette discrètement à l’eau les linges qui les ont contenues. Notez, chers lecteurs, l’incroyable prudence qu’il s’impose, comment il se montre indifférent ou défiant devant les formes spectaculaires d’une possession. Rappelez-vous que nous sommes dans les années 1500. Cette défiance est encore plus grande aujourd’hui et beaucoup se refusent de croire, même s’ils ont les preuves sous les yeux, que la possession démoniaque est une réalité.

Dans un autre extrait des confidences de Jeanne, nous savons qu’une fois libérée, la religieuse ne sait plus lire et parle comme une enfant de 4 ans. Le démon Cornau révèle que la jeune femme a été maudite dès sa plus tendre enfance par son propre père. Puis, Jeanne, dès l’âge de 4 ans, s’est donnée au diable et a pris pour père le démon Cornau, lequel s’est engagé à la nourrir et à la protéger. Cette forme de malédiction est courante dans les traités de démonologie. Ce qui est surprenant, c’est qu’une fois délivrée, Jeanne a pris pour père Jean Mainsent, le chanoine confesseur et pour grand-père, l’archevêque Louis de Berlaymont. Marie-Madeleine leur est apparue et a exigé qu’ils prennent soin de la jeune femme, tant matériellement que spirituellement.

Les pactes signés par Jeanne auraient pu la faire passer pour une sorcière ou une magicienne, d’autant plus qu’elle manipulait des hosties et qu’elle adorait des figurines de plomb. Ce statut de sorcière lui aurait été fatal, on sait très bien ce que l’on faisait aux sorcières à cette époque-là. On les brûlait au bûcher sans plus de sommation. Pourtant, Jeanne est passée comme une des premières figures de l’hérétique. Jeanne, fille maudite, fille du diable, abandonnée par contrat pour obtenir la liberté de savoir et de vivre hors des contraintes de l’Église. C’est la définition parfaite de l’hérétique.

Aucun des exorcismes réalisés n’a été fait en public et toute l’affaire s’est déroulée à l’abri des murs du couvent, dans l’infirmerie où Jeanne était tenue ou dans la maison de l’archevêque en présence de nombreux ecclésiastiques. On peut penser qu’à l’époque où se déroule les faits, il était encore considéré comme contre-productif pour les fidèles de leur montrer une jeune femme, dotée de la dignité due à ses vœux de sœurs, de faire entrer publiquement les démons dans les couvents. De plus, Jeanne appartient à une famille honorable du côté de sa mère Marie Gossart et de sa tante, Jeanne Gossart, qui je le rappelle, était la maîtresse du couvent des Sœurs noires et qui aura la tâche de garder sa nièce durant toute la période des exorcismes et qui sera élue supérieure après l’affaire.

Jeanne Ferry a porté l’habit de religieuse, contrainte et forcée, dès l’âge de 15 ans. Elle a mené une double vie. Cette double vie doit s’entendre dans plusieurs sens, puisqu’elle est à la fois une fausse religieuse et un vrai diable, une possédée malgré elle et une incroyante qui dispute des dogmes en forgeant ses propres idées, enfin la rédactrice d’une vie dont elle est à la fois l’actrice et la patiente, selon qu’elle assume ou non les actions que les diables lui font faire et les idées qu’ils lui suggèrent. Ni sainte, ni sorcière, ni mystique, ni religieuse, ni possédée… tout se passe comme si Jeanne Ferry habitait tour à tour différents rôles qui sont à la disposition des femmes de son temps pour avouer des idées autrement indicibles et qui lui permettent de trouver, avec une certaine efficacité, une reconnaissance sociale et religieuse dans le couvent de Mons. Et pour conclure, finalement, Jeanne Ferry était torturée par ces divisions, elle torturait son esprit par ces divisions, créant ainsi le désordre en elle. Le démon frappe aussi de cette manière, en créant la division et la culpabilité d’être divisée. 

 

 

Marie d’Ange

 

 

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